LE FIL LIVRES - Le Salon du livre jeunesse de Montreuil (93), qui s'ouvre demain, a cette année pour thème "Peurs et frissons". Car la peur, c'est excitant ! Surtout en couleurs dans les albums pour enfants, avec tous ces mots pour l'apprivoiser. Des récits populaires d'antan aux albums modernes, retour sur quelques beaux frousses.
Au firmament de la peur et des récits populaires, depuis la nuit des temps, scintille l'être le plus extravagant qui se puisse rencontrer, Jean sans Peur, le plus flamboyant de tous les flambeurs. Le roi des menteurs ou un maître de sagesse ? Qui sait ! Tandis qu'un peu partout autour de lui ils sont innombrables et de toutes les espèces, les héros, grands et petits, occupés à faire le tour de leurs peurs comme on fait le tour du monde, l'inoxydable Jean sans Peur n'en finit pas, lui, de supplier tout ce qu'il croise (fantômes, revenants, guerriers, diable, cadavres, membres sanguinolents, ossements...) de lui apprendre la peur, ce frisson qu'il ne connaît pas et voudrait tellement expérimenter, sinon incorporer, comme s'il s'agissait d'une nourriture. Magnifié par les frères Grimm, ce Jean sans Peur (1) est une célébrité dans l'univers des contes. Mille pays l'ont adopté, Inde comprise. On le connaît aussi sous le nom de « Culotte-Verte ». C'est l'histoire abracadabrantesque d'un jeune homme en âge de se marier qui se met un jour en chemin pour apprendre « le tremblement », oui, le tremblement, c'est-à-dire l'art délicieusement paniquant de la trouille sans lequel il estime qu'il ne deviendra jamais un homme. A rebours - le fait est remarquable - d'une croyance immémoriale selon laquelle la trouille serait l'affaire des filles ou des femmes. Jamais celle des garçons ni des hommes. Les aventures les plus terrifiantes surviennent sans que jamais Jean sans Peur ne trouve ce qu'il cherche. Et ce qu'il finit par expérimenter - on ne le dira pas ici - ne ressemble en rien à ce qu'il nous a fait imaginer. La peur n'a pas toujours le visage de la peur. Quelquefois, elle n'est que de la surprise qu'il suffit d'accueillir pour donner à sa vie élan et couleur. On en viendrait presque à s'en tenir à l'éloge de cette bien trop aimable passion de l'âme. Mais ce Jean sans Peur nous a-t-il tout avoué quant aux mobiles qui l'animent ? Evidemment non ! Jamais il ne décrit cette chose qu'il désire et qu'il appelle la peur. Il respecte en cela la loi du conte, sa convention qui est de taire l'objet réel qu'il poursuit, de camoufler la vraie nature des affects qu'il inspire à ses personnages : solitude, sexualité, mort, angoisses existentielles, castration, inceste, cannibalisme... Sur ces divers chapitres, avec sa Psychanalyse des contes de fées (1976), Bruno Bettelheim nous a suffisamment ouvert les yeux, les oreilles et l'esprit. Le conte dissimule, il masque, il transpose. Ainsi la Belle a-t-elle jamais parlé de ce délicieux état d'excitation dans lequel la plonge, chaque soir, la visite imminente de la Bête ? Non ! Il faut aller vers la modernité pour que les mots de la peur se précisent ou se déshabillent. Que s'ouvre la boîte à fantasmes. Et que tourne encore et encore le manège des peurs. Toujours un peu les mêmes. Jamais vraiment semblables. Mais sûrement de plus en plus bavardes.
Illustration de Marc Boutavant pour Télérama
Choses qui font peur est un objet avant d'être un livre. Du rouge, beaucoup de rouge, rouge sang, rouge vie, rouge peur, des pages qui s'ouvrent et se déplient, découvrant ou faisant surgir un univers à la fois surréaliste et familier, habité - ou plutôt hanté - par une petite fille immense et rêveuse dont on finit par se demander si elle n'orchestrerait pas elle-même le théâtre de ses peurs intimes pour mieux fouetter celles du lecteur. Des trous avec des souterrains infinis, les rats qui galopent dans les trous et finissent par en sortir, l'intérieur de la peau dont on se demande s'il est noir ou lumineux, la dent qui menace de tomber, les acariens, sauter dans le vide, aller en prison avec ou sans ses parents, l'orage, les ofnis (objets flottants non identifiés), le tableau noir à l'école, l'orthographe, écrire par exemple hippocampe, confondre le jour et la nuit, « devenir fou, toc toc, zinzin, être orphelin »... Ouf, se dit-on, une fois la liste engloutie et le livre refermé. On a eu chaud.
Choses qui font peur (éd. Autrement) date de deux ans. Ecrit par Bruno Gibert, illustré par Pierre Mornet, ce livre fait chanter la peur autrement. Certes avec des mots nouveaux, mais avec le souci de rattacher ces mots nouveaux aux mots anciens. Sans rupture. Par nécessité. Probablement parce que d'hier à maintenant la contrainte ne change guère. Livrée à elle seule, sans filet, la peur devient folle, sauvage. Mise en mots, elle trouve sa maison. Eviter qu'elle ne batte la campagne, sans but, sans forme identifiable ; la contenir, lui donner une enveloppe, la mettre en langage, la mastiquer, lui flanquer des yeux de loup, des mains de géant ou des cornes par-dessus ses oreilles, tels sont les principaux tracas des mythes, légendes, contes, comptines, livres et autres racontages. Si on la laissait faire comme elle veut, la peur exigerait qu'on se taise, c'est pourquoi il faut ouvrir la bouche. Freud, qui le savait mieux que personne, reprend et commente dans Leçons d'introduction à la psychanalyse l'anecdote suivante. Dans le noir, un petit garçon demande à sa tante de continuer à lui parler. La tante s'étonne de ce que le petit garçon veuille l'entendre alors qu'il ne la voit pas. Le petit garçon répond : « Quand quelqu'un parle, il fait plus clair. » Voir clair dans le noir, ce pourrait être, depuis toujours, le but de la manoeuvre.
Tout le mal ne vient pas de lui, mais ce mot latin, pavor, mérite tout de même qu'on lui ouvre la ventraille. Tous les dictionnaires sérieux le disent, pavor, du verbe pavere, donne le mot peur. Pavor désigne aussi une déesse, celle de la Peur justement. Il donne également épouvante, épave, impavide. Panique n'est pas très loin de là. Panique qui vient de Pan, le dieu cornu joueur de flûte, flûte avec laquelle on joue certaine musique qui alerte les bergers autant qu'elle fait fuir les loups. Pavor, nous dit-on, a partie liée avec pax, la paix. Poursuivons... Stress, un mot anglais associé à la peur, vient du vieux français destrece, qui vient du latin districtus, étroit, comme angus qui a donné angoisse, angine. Avec stress comme avec angoisse, il est question d'emprunter, la peur au ventre, un passage étroit, comme s'appliquent à le faire quasiment tous les héros des contes, puisque la peur est l'expérience même du passage. L'épreuve et le lieu du grandissement du petit garçon comme de la petite fille. L'histoire ne nous dit jamais qu'ils ont la frousse, nos héros de papier, la frousse, la trouille ou la pétoche (2), trois mots trébuchant comme des onomatopées qui évoquent les gargouillis intestinaux, la chiasse en d'autres termes. Ajoutons à ce festin langagier pavor nocturnus, les terreurs nocturnes, et nous touchons au comble de la peur, la peur de la peur, la pire d'entre toutes, parce que la plus difficile à nommer.
Encore que... « Autrefois, il y avait un cauchemar dans mon placard, dit le petit personnage de l'auteur-illustrateur américain Mercer Mayer (Il y a un cauchemar dans mon placard, éd. Gallimard), aussi, avant d'aller dormir, je fermais soigneusement la porte. Cependant, j'avais encore peur de me retourner et de regarder... Une nuit, j'ai décidé de me débarrasser, une fois pour toutes, de mon cauchemar... » Avec une carabine, l'enfant tire sur son cauchemar qui se met à pleurer. « Alors, je le pris par la main et je l'installai dans le lit... Je suppose qu'il y a un autre cauchemar dans le placard, mais mon lit est vraiment trop petit pour trois... » Edité aux Etats-Unis en 1968, très imprégné du progressisme des années 60, tant visuel que littéraire ou pédagogique, Il y a un cauchemar dans mon placard a fait le tour du monde.
Quarante ans plus tard, changement total de décor et de peur, avec la sortie cet automne de Mao et moi, le petit garde rouge (éd. L'Ecole des loisirs), écrit et illustré par le peintre Chen Jiang Hong, lui-même ex-petit garde rouge, aujourd'hui installé en France. Cette fois, la peur change de nature. Plus de psychologie tourmentée. Plus de phobies familières. Plus de troubles obsessionnels. Plus de légende non plus. Mais le fracas de la grande histoire quand il traverse et renverse, comme une table, la vie des gens qui n'ont rien demandé. Mao et moi raconte l'histoire de la famille de Chen un peu avant, pendant et un peu après la Révolution culturelle. Du papier de riz, de l'encre de Chine, de l'aquarelle, des personnages qui tremblent comme s'ils étaient vivants, des lumières qui éclairent pour de vrai l'intérieur des maisons, des sentiments tangibles, des mots qui vont leur chemin sans se presser... Ici, la peur ne vient pas de la maison, ni des parents, ni de l'intérieur de la tête. Elle vient du dehors, du monde, de la brutalité politique, de l'arbitraire, de la sauvagerie des pouvoirs et de leurs séides. Ce que voit le narrateur du haut de sa petite taille ? Madame Liu, la voisine du dessus, qui a dû se confesser en public et qu'on ne reverra plus jamais ; le père, envoyé dans un camp de rééducation politique ; les poules de la grand-mère massacrées sur ordre de la responsable du quartier... C'est autre chose que Jean sans Peur, peut-être un ailleurs de la peur, mais toujours une seule et même question rebattue. Comment permettre à l'être humain d'accéder à son humanité ? La peur, quand elle parle, n'a pas d'autre ferveur.
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Daniel Conrod
Télérama n° 3071
(1) Le titre du conte en anglais est plus explicite, The Youth who wanted to learn what fear is (« Le Jeune Homme qui voulait apprendre ce qu'est la peur »).
(2) Lire à ce sujet le savoureux article du psychanalyste Henri de Caevel, « Peurs et terreurs d'enfance », dans La lettre de l'enfance et de l'adolescence (revue du Grape), n° 56, 2004.A savoirSalon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, du mercredi 26 novembre au lundi 1er décembre 2008, 128, rue de Paris à Montreuil-sous-Bois.http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/
Au firmament de la peur et des récits populaires, depuis la nuit des temps, scintille l'être le plus extravagant qui se puisse rencontrer, Jean sans Peur, le plus flamboyant de tous les flambeurs. Le roi des menteurs ou un maître de sagesse ? Qui sait ! Tandis qu'un peu partout autour de lui ils sont innombrables et de toutes les espèces, les héros, grands et petits, occupés à faire le tour de leurs peurs comme on fait le tour du monde, l'inoxydable Jean sans Peur n'en finit pas, lui, de supplier tout ce qu'il croise (fantômes, revenants, guerriers, diable, cadavres, membres sanguinolents, ossements...) de lui apprendre la peur, ce frisson qu'il ne connaît pas et voudrait tellement expérimenter, sinon incorporer, comme s'il s'agissait d'une nourriture. Magnifié par les frères Grimm, ce Jean sans Peur (1) est une célébrité dans l'univers des contes. Mille pays l'ont adopté, Inde comprise. On le connaît aussi sous le nom de « Culotte-Verte ». C'est l'histoire abracadabrantesque d'un jeune homme en âge de se marier qui se met un jour en chemin pour apprendre « le tremblement », oui, le tremblement, c'est-à-dire l'art délicieusement paniquant de la trouille sans lequel il estime qu'il ne deviendra jamais un homme. A rebours - le fait est remarquable - d'une croyance immémoriale selon laquelle la trouille serait l'affaire des filles ou des femmes. Jamais celle des garçons ni des hommes. Les aventures les plus terrifiantes surviennent sans que jamais Jean sans Peur ne trouve ce qu'il cherche. Et ce qu'il finit par expérimenter - on ne le dira pas ici - ne ressemble en rien à ce qu'il nous a fait imaginer. La peur n'a pas toujours le visage de la peur. Quelquefois, elle n'est que de la surprise qu'il suffit d'accueillir pour donner à sa vie élan et couleur. On en viendrait presque à s'en tenir à l'éloge de cette bien trop aimable passion de l'âme. Mais ce Jean sans Peur nous a-t-il tout avoué quant aux mobiles qui l'animent ? Evidemment non ! Jamais il ne décrit cette chose qu'il désire et qu'il appelle la peur. Il respecte en cela la loi du conte, sa convention qui est de taire l'objet réel qu'il poursuit, de camoufler la vraie nature des affects qu'il inspire à ses personnages : solitude, sexualité, mort, angoisses existentielles, castration, inceste, cannibalisme... Sur ces divers chapitres, avec sa Psychanalyse des contes de fées (1976), Bruno Bettelheim nous a suffisamment ouvert les yeux, les oreilles et l'esprit. Le conte dissimule, il masque, il transpose. Ainsi la Belle a-t-elle jamais parlé de ce délicieux état d'excitation dans lequel la plonge, chaque soir, la visite imminente de la Bête ? Non ! Il faut aller vers la modernité pour que les mots de la peur se précisent ou se déshabillent. Que s'ouvre la boîte à fantasmes. Et que tourne encore et encore le manège des peurs. Toujours un peu les mêmes. Jamais vraiment semblables. Mais sûrement de plus en plus bavardes.
Illustration de Marc Boutavant pour Télérama
Choses qui font peur est un objet avant d'être un livre. Du rouge, beaucoup de rouge, rouge sang, rouge vie, rouge peur, des pages qui s'ouvrent et se déplient, découvrant ou faisant surgir un univers à la fois surréaliste et familier, habité - ou plutôt hanté - par une petite fille immense et rêveuse dont on finit par se demander si elle n'orchestrerait pas elle-même le théâtre de ses peurs intimes pour mieux fouetter celles du lecteur. Des trous avec des souterrains infinis, les rats qui galopent dans les trous et finissent par en sortir, l'intérieur de la peau dont on se demande s'il est noir ou lumineux, la dent qui menace de tomber, les acariens, sauter dans le vide, aller en prison avec ou sans ses parents, l'orage, les ofnis (objets flottants non identifiés), le tableau noir à l'école, l'orthographe, écrire par exemple hippocampe, confondre le jour et la nuit, « devenir fou, toc toc, zinzin, être orphelin »... Ouf, se dit-on, une fois la liste engloutie et le livre refermé. On a eu chaud.
Choses qui font peur (éd. Autrement) date de deux ans. Ecrit par Bruno Gibert, illustré par Pierre Mornet, ce livre fait chanter la peur autrement. Certes avec des mots nouveaux, mais avec le souci de rattacher ces mots nouveaux aux mots anciens. Sans rupture. Par nécessité. Probablement parce que d'hier à maintenant la contrainte ne change guère. Livrée à elle seule, sans filet, la peur devient folle, sauvage. Mise en mots, elle trouve sa maison. Eviter qu'elle ne batte la campagne, sans but, sans forme identifiable ; la contenir, lui donner une enveloppe, la mettre en langage, la mastiquer, lui flanquer des yeux de loup, des mains de géant ou des cornes par-dessus ses oreilles, tels sont les principaux tracas des mythes, légendes, contes, comptines, livres et autres racontages. Si on la laissait faire comme elle veut, la peur exigerait qu'on se taise, c'est pourquoi il faut ouvrir la bouche. Freud, qui le savait mieux que personne, reprend et commente dans Leçons d'introduction à la psychanalyse l'anecdote suivante. Dans le noir, un petit garçon demande à sa tante de continuer à lui parler. La tante s'étonne de ce que le petit garçon veuille l'entendre alors qu'il ne la voit pas. Le petit garçon répond : « Quand quelqu'un parle, il fait plus clair. » Voir clair dans le noir, ce pourrait être, depuis toujours, le but de la manoeuvre.
Tout le mal ne vient pas de lui, mais ce mot latin, pavor, mérite tout de même qu'on lui ouvre la ventraille. Tous les dictionnaires sérieux le disent, pavor, du verbe pavere, donne le mot peur. Pavor désigne aussi une déesse, celle de la Peur justement. Il donne également épouvante, épave, impavide. Panique n'est pas très loin de là. Panique qui vient de Pan, le dieu cornu joueur de flûte, flûte avec laquelle on joue certaine musique qui alerte les bergers autant qu'elle fait fuir les loups. Pavor, nous dit-on, a partie liée avec pax, la paix. Poursuivons... Stress, un mot anglais associé à la peur, vient du vieux français destrece, qui vient du latin districtus, étroit, comme angus qui a donné angoisse, angine. Avec stress comme avec angoisse, il est question d'emprunter, la peur au ventre, un passage étroit, comme s'appliquent à le faire quasiment tous les héros des contes, puisque la peur est l'expérience même du passage. L'épreuve et le lieu du grandissement du petit garçon comme de la petite fille. L'histoire ne nous dit jamais qu'ils ont la frousse, nos héros de papier, la frousse, la trouille ou la pétoche (2), trois mots trébuchant comme des onomatopées qui évoquent les gargouillis intestinaux, la chiasse en d'autres termes. Ajoutons à ce festin langagier pavor nocturnus, les terreurs nocturnes, et nous touchons au comble de la peur, la peur de la peur, la pire d'entre toutes, parce que la plus difficile à nommer.
Encore que... « Autrefois, il y avait un cauchemar dans mon placard, dit le petit personnage de l'auteur-illustrateur américain Mercer Mayer (Il y a un cauchemar dans mon placard, éd. Gallimard), aussi, avant d'aller dormir, je fermais soigneusement la porte. Cependant, j'avais encore peur de me retourner et de regarder... Une nuit, j'ai décidé de me débarrasser, une fois pour toutes, de mon cauchemar... » Avec une carabine, l'enfant tire sur son cauchemar qui se met à pleurer. « Alors, je le pris par la main et je l'installai dans le lit... Je suppose qu'il y a un autre cauchemar dans le placard, mais mon lit est vraiment trop petit pour trois... » Edité aux Etats-Unis en 1968, très imprégné du progressisme des années 60, tant visuel que littéraire ou pédagogique, Il y a un cauchemar dans mon placard a fait le tour du monde.
Quarante ans plus tard, changement total de décor et de peur, avec la sortie cet automne de Mao et moi, le petit garde rouge (éd. L'Ecole des loisirs), écrit et illustré par le peintre Chen Jiang Hong, lui-même ex-petit garde rouge, aujourd'hui installé en France. Cette fois, la peur change de nature. Plus de psychologie tourmentée. Plus de phobies familières. Plus de troubles obsessionnels. Plus de légende non plus. Mais le fracas de la grande histoire quand il traverse et renverse, comme une table, la vie des gens qui n'ont rien demandé. Mao et moi raconte l'histoire de la famille de Chen un peu avant, pendant et un peu après la Révolution culturelle. Du papier de riz, de l'encre de Chine, de l'aquarelle, des personnages qui tremblent comme s'ils étaient vivants, des lumières qui éclairent pour de vrai l'intérieur des maisons, des sentiments tangibles, des mots qui vont leur chemin sans se presser... Ici, la peur ne vient pas de la maison, ni des parents, ni de l'intérieur de la tête. Elle vient du dehors, du monde, de la brutalité politique, de l'arbitraire, de la sauvagerie des pouvoirs et de leurs séides. Ce que voit le narrateur du haut de sa petite taille ? Madame Liu, la voisine du dessus, qui a dû se confesser en public et qu'on ne reverra plus jamais ; le père, envoyé dans un camp de rééducation politique ; les poules de la grand-mère massacrées sur ordre de la responsable du quartier... C'est autre chose que Jean sans Peur, peut-être un ailleurs de la peur, mais toujours une seule et même question rebattue. Comment permettre à l'être humain d'accéder à son humanité ? La peur, quand elle parle, n'a pas d'autre ferveur.
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Daniel Conrod
Télérama n° 3071
(1) Le titre du conte en anglais est plus explicite, The Youth who wanted to learn what fear is (« Le Jeune Homme qui voulait apprendre ce qu'est la peur »).
(2) Lire à ce sujet le savoureux article du psychanalyste Henri de Caevel, « Peurs et terreurs d'enfance », dans La lettre de l'enfance et de l'adolescence (revue du Grape), n° 56, 2004.A savoirSalon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, du mercredi 26 novembre au lundi 1er décembre 2008, 128, rue de Paris à Montreuil-sous-Bois.http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/
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